Littérature avec autorisation parentale

Par Nila Kazar

Récemment, mes parents m’ont fait part de leur opinion sur mon dernier livre, ce qui m’a surprise. D’habitude mon père ne dit pas un mot à ce sujet. Même une pierre lancée au fond d’un puits produirait plus d’écho. Si, au bout de six mois, je lui demande ce qu’il en a pensé, dans le meilleur des cas il répond : « Je l’ai lu. »

Quant à ma mère, malgré mes protestations, elle ne s’exprime qu’au travers d’une copie double de commentaire composé, citations à l’appui, en listant tous les mots grossiers qu’à son avis je devrais supprimer. Parfois elle soupire : « Mon Dieu ! Dire que tu as fait toutes ces mauvaises expériences… »

Mon dernier livre semble les avoir dérangés plus que les précédents. Mon père a été choqué par ce qui se rapportait à lui-même, et ma mère, par ce qui se rapportait à la sexualité.

Le premier m’a dit qu’il ne se reconnaissait pas du tout dans le personnage du père, mais qu’il en était profondément outragé. Je me suis abstenue de souligner la contradiction.

La seconde m’a écrit que tant d’indécence allait indisposer mes employeurs, et que je risquais un procès de la part des modèles supposés de certains personnages, à qui j’aurais dû demander leur autorisation avant de mêler aussi étourdiment réalité et imagination.

Elle a noté ceci, qui m’a frappée : « mélange = impur ». Je trouve que cela pourrait être une assez bonne définition de la fiction littéraire. L’impureté.

En principe opposés sur tout, cette fois mes parents sont tombés d’accord pour me conseiller de renoncer à m’inspirer de mon expérience vécue pour écrire.

Ils ont sûrement raison. Ce sont mes parents, après tout.

Je leur ai donc demandé d’établir une liste des thèmes qu’ils estimaient dignes de ma plume, et surtout, inoffensifs.

En croisant leurs réponses, j’ai abouti à la liste suivante :

1- l’influence de la couleur jaune sur la phase de sommeil paradoxal chez les Indiens navajos ;

2- l’élevage de hérissons en batterie pour éradiquer la faim dans le monde ;

3- le concept de « synchronicité orthopédique » dans la philosophie de Spinoza ;

4- les coûts induits par les erreurs intentionnelles dans le tri sélectif des déchets ménagers ;

5- l’indicateur des Chemins de fer de Transylvanie en 1927.

Ces cinq thèmes aussi devant être abordés avec précaution, mes parents m’ont proposé une lecture de contrôle bénévole avant toute soumission à un éditeur. Cela permettra d’éviter les dérapages involontaires – par exemple, évoquer la sexualité débridée des spinozistes transylvains, ou encore, égarer un trait de caractère paternel dans un rêve navajo typiquement jaune.

Réflexion faite, je crois que je vais m’en tenir aux thèmes 2 et 4, c’est plus prudent.

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