Par Nila Kazar
#livrenumérique #ebook #Amazon #marketing
NB : Ce billet commence à dater, il se peut que les chiffres indiqués aient un peu évolué.
Longtemps j’ai négligé le marché du livre numérique. Où en est-il aujourd’hui, en France et aux États-Unis ?
Je suis plus lettres que chiffres, mais de temps en temps, il faut ingurgiter une dose de statistiques pour y voir plus clair… Courage ! Je vous ai mâché le travail en compilant les données pour vous :
D’après le Syndicat National de l’édition, le marché du numérique poursuit sa pénétration, portée par certains segments éditoriaux. En 2014, tous supports et catégories confondus, il a généré un chiffre d’affaires de 161,4 millions d’euros, en progression de 53,3%. Cela représente 6,4% du chiffre d’affaires des ventes de livres. (Bizarrement, on trouve 4,1% sur une autre page du site web du SNE censée concerner la même période…)
Cette progression a été principalement portée par le marché professionnel qui représente 64% des ventes en format numérique (contre 58% l’an dernier).
L’édition numérique grand public continue de gagner du terrain à la faveur d’une offre attractive et conséquente, d’une baisse des prix et d’un taux d’équipement en progression dans les foyers. Elle atteint désormais 2,9% des ventes de livres (contre 2,3% en 2013).
Les deux-tiers des lecteurs de livres numériques ont lu un livre imprimé il y a moins d’un mois.
Sans vouloir mettre le boxon (quoique…), je note que le bilan annuel du très sérieux cabinet GfK diffère sensiblement de celui du SNE. GfK affirme que les ventes d’ebooks en France n’ont progressé que de 45% en 2014 (en valeur, 63,8 millions d’euros). La progression en volume est de 60% et 8,3 millions de livres numériques ont été téléchargés.
Le livre numérique reste encore un segment faible : il représente 1,6% du chiffre d’affaires total du livre, et 2,4% des volumes de ventes.
Il y a environ un million d’acheteurs d’ebooks sur le territoire, et les trois-quarts d’entre eux achètent aussi des livres papier.
Pour compléter, l’étude annuelle du CREDOC nous apprend que, entre 2011 et 2015, la proportion de lecteurs de livres numériques a doublé, passant de 4 à 8%. La défiance décroît : en 2011, 80% des sondés déclaraient ne jamais vouloir lire de livres au format numérique. S’ils restent 72% à défendre cette position en 2015, l’idée de lire à l’avenir sur un support numérique a progressé : 20% des personnes interrogées l’envisagent en 2015 contre 16% en 2011. (Punaise, 72% de gens hostiles à l’ebook, encore aujourd’hui… C’est pas gagné !)
Outre-Atlantique, selon une étude de Nielsen résumée par The Bookseller (sorry, in English), les ventes d’ebooks ont décliné de 6% en 2014 par rapport à l’année précédente, alors qu’elles avaient progressé de 3,8% en 2013. Les ebooks représentent 26% des ventes de livres en 2014, contre 28% en 2013. (On trouve aussi les chiffres de 29% en 2015 contre 31% en 2014.)
Mais il se pourrait que ce déclin supposé soit en trompe-l’œil, car les enquêtes ne prennent pas en compte le marché de l’auto-édition numérique, en croissance exponentielle sur les plateformes, comme l’affirme Gareth Cuddy (« Ce que l’on ne mesure pas existe tout de même »). Le PDG de Kobo, Michael Tamblyn, se demande également si les méthodes de calcul de l’Association of American Publishers sont adaptées à l’économie numérique : « Kobo Writing Life [service d’auto-édition] représente maintenant 15% de nos ventes, soit notre troisième plus importante source de vente. » Et les chiffres de l’AAP n’incluent pas non plus les services d’abonnements, alors que plus de 12% des lecteurs de livres numériques américains sont abonnés à Kindle Unlimited.
Quoi qu’il en soit, plus de 50% des livres achetés sur Amazon US sont en format numérique.
C’est la catégorie Fiction adulte qui représente la plus grande part en format numérique, avec 51% des ventes totales. La littérature générale, le roman sentimental et/ou érotique, le suspense, le polar et la fantasy, ont tous dépassé les 50%. (Dans le Top 100 des ventes d’ebooks sur Amazon France, on trouve 96 romans. Étonnant, non ? J’aurais cru que ce serait plutôt les livres de développement personnel.)
Les ventes d’ebooks en Littérature de jeunesse ont augmenté de 10% en 2014, mais représentent seulement 15% des ventes totales dans cette catégorie. La majorité des adolescents déclare préférer toujours les livres-papier. En 2015, chez les 15-24 ans, on compte 32% de lecteurs d’ebooks.
Parmi les acheteurs de livres dans les six derniers mois, 49% en ont acheté en format soit papier, soit numérique, et 9% uniquement en numérique.
Assez de chiffres, venons-en à la seule question intéressante : « Et moi, dans tout ça ? » 😉
Il est clair que mon projet de me faire connaître en France comme auteur pure player ne sera pas facile à réaliser ! Tentons d’analyser objectivement ma situation de départ :
Négatif :
– n’écrivant pas en anglais, mes lecteurs potentiels représentent seulement 2 à 3% du marché du livre français ;
– de plus, c’est le segment professionnel qui prédomine dans le marché du numérique, et non le segment grand public (46%) ;
Positif :
– oui, mais sur Amazon France, que j’envisage comme vecteur principal de lancement, la Fiction adulte est prédominante ;
Négatif :
– d’accord, mais sans doute pas celle que j’essaye de pratiquer, plutôt – d’après mes observations – la fiction grand public (mainstream), et la fiction dite « de genre » ou « de niche » (soutenue par des communautés de fans).
Vu l’extrême segmentation du marché, je devrais écrire des « romances exotiques pour jeunes adultes » ou des « thrillers historiques avec personnages monstrueux », au lieu de littérature générale !
Bon, vous l’avez compris : dans ce bilan provisoire, le négatif l’emporte sur le positif. Et pas sûr que les qualités époustouflantes de mes écrits parviennent à faire la différence. Si je ne bouge pas, je suis même certaine de sombrer au fin fond des classements des ventes en moins de deux semaines. Victime des algorithmes, comme tant d’autres avant moi…
Et donc, qu’est-ce qui (mis à part l’entêtement légendaire qui a fait le désespoir de ma maman) me pousse à persévérer quand même dans mon projet de recourir à l’auto-édition numérique, alors que tout m’incite à laisser tomber ?
Deux choses :
– étant un auteur confirmé, si je change de canal, c’est parce que l’ancien canal est bouché (en particulier pour le genre de la nouvelle, que je pratique de plus en plus) ;
– j’ai compris qu’un paramètre pouvait changer la donne dans l’auto-édition numérique : le marketing.
Je n’y connais rien en marketing de livres, évidemment (pas convaincue que les responsables commerciaux des éditeurs tradis en sachent beaucoup plus !). Mais je peux apprendre. Par chance, tous les outils sont disponibles sur Internet, à condition de les chercher. On peut se former tout seul, essayer un truc, se planter et recommencer. C’est une démarche empirique, exactement comme l’écriture : elle me convient, elle me ressemble, elle ne me fait pas peur, et même, elle excite ma curiosité et mon goût du risque.
Il s’agit avant tout de changer d’attitude existentielle : cesser de déléguer mes intérêts à des personnes qui s’avèrent parfois incompétentes, ou simplement indifférentes ; abandonner un modèle dépassé, remettre en cause mes habitudes et, surtout, reprendre la main sur ma carrière littéraire.
Pari assez casse-gueule, n’est-ce pas ?!
Des questions, des commentaires ? Allez voir un peu plus bas ! Et si l’envie vous taraude de goûter à mes écrits, ne résistez plus : mon dernier roman, Platonik, est ici (imprimé ou numérique). Pour vous en donner le goût, vous pouvez lire cette chronique-ci, ou celle-là !
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Bonjour Nila, une flopée de chiffres pessimistes qui ne donnent pas trop envie de se lancer… un verre à moitié vide, et on a presque l’impression qu’il y a un trou au fond de ce verre.
Mais il y a des auteurs qui trouvent des lecteurs, quelques centaines, quelques milliers même parfois dans ce secteur du livre numérique. Et la lecture numérique, quoi qu’on en dise, progresse, pas seulement en romance exotique pour jeunes adultes. Un peu plus de liseuses chaque année, des lecteurs sur tablettes et de plus en plus directement sur leurs smartphones. Des lecteurs qui lisent plus de 4 livres par mois pour certains. Il ne faut pas écouter les Cassandre.
Oui, il y a peu d’élus dans cet eldorado de l’autoédition numérique, mais il y en a, et ils ont essayé… J’en ai interviewé plusieurs dans le podcast sur mon site.
Par contre, sur Kindle, je mettrais de côté vos espoirs de développer un lectorat de nouvelles. Je ne dis pas que c’est voué à l’échec, mais que ce sera aussi difficile qu’ailleurs.
Je suis persuadée que ce secteur va se développer aussi chez nous, malgré nos particularités nationales. D’ailleurs on voit bien que même aux USA, les études négligent (pour l’instant) d’intégrer le secteur de l’autopublication…
Merci de votre remarque sur Kindle. Il faudrait donc que je tente une diversification de plateformes de vente en ligne, je suppose?
Je me prépare à cette nouvelle aventure et je me doute qu’elle sera pleine de rebondissements, parmi lesquels forcément des déceptions… Je vois cela un peu comme une expérience dont mes nouveaux livres seraient les cobayes, et que je pourrai raconter dans ce blog afin d’apprendre et de réfléchir en partageant.
Et je vous remercie de votre retour, justement! Nila
Non, je ne pense pas qu’une diversification pour des nouvelles apporte plus de ventes. Par contre, les nouvelles restent un bon moyen d’attirer l’attention, de donner à lire des livres plus consistants. Mais aussi, chaque personne est différente, et ce n’est pas parce que je le dis qu’il ne faut pas essayer ! J’adorerais que plusieurs auteurs fassent revivre la nouvelle. Certains s’y essayent, et c’est tant mieux. La plateforme monbestseller.com est un bon relais, ainsi que wattpad ou d’autres.
Sur Kindle, dans une stratégie de conquête de nouveaux lecteurs, je mettrais un recueil en KDP Select au contraire, en mettant à profit au maximum Kindle Unlimited, et en allant jusqu’à mettre en avant le fait qu’avec l’abonnement Kindle, la lecture est gratuite.
Le problème dans ce domaine de la littérature est mon inexpérience. Il vaut mieux que je me taise. Et que vous rencontriez des auteurs qui s’y sont essayés.
Par ailleurs, il faut toujours penser « longue traine » et « fond de catalogue » avec les plateformes numériques. Récupérer ses droits sur des livres qui ne sont plus exploités par leurs éditeurs, c’est malin. Refaire des promotions régulières sur des ouvrages un peu oubliés, c’est malin (Laurent Bettoni a été agréablement étonné des résultats de sa « Place au Paradis », dix ans après sa première parution).
Si vous avez déjà des livres qui mériteraient qu’on leur accorde de l’amour, dans un format numérique, gardez-les aussi à l’esprit. Ne vous contentez pas des « nouveaux » livres.
Merci mille fois, Cyril, pour ces conseils éclairés dont je vais certainement tenir compte!
A vrai dire, je teste d’abord les nouvelles en numérique parce qu’elles ne trouvent pas leur place chez les éditeurs papier. J’en ai publié un certain nombre dans des revues ou en recueil collectif, et aussi dans un livre à part qui s’est vendu en moins de 4 ans à 560 exemplaires, ce qui n’est pas nul. Malheureusement les blocages chez les éditeurs tradis sont énormes, et je me lasse de revenir à la charge sans succès.
J’ai pensé en effet à rééditer en ebooks des livres pour lesquels je n’ai pas signé de contrat de droits numériques, ou dont j’ai récupéré la totalité des droits. Cela viendra en son temps – que de travail en perspective! Je ne risque pas de chômer dans les mois et années qui viennent.
Cyril connaît bien les auteurs indés!
Quand j’ai choisi de renoncer à l’édition traditionnelle pour me tourner vers l’auto-édition d’abord numérique, (ensuite il y a eu CreateSpace aussi), mes objectifs ont été exactement ceux cités ici:
Retravailler et publier les romans refusés, les romans dont j’avais récupéré les droits, et les romans pour lesquels aucun contrat n’avait été signé pour le numérique.
Oui, c’est beaucoup de travail, mais la gratification est double: 1/ le sentiment d’avoir repris mon destin d’auteure en mains; 2/ la joie de rendre disponibles à la lecture certains de mes romans dont l’exploitation avait été arrêtée par les éditeurs.
Merci pour cet article comme d’habitude !
Je partage tes objectifs, mais je ne suis qu’au début de l’entreprise, et j’avoue que parfois, je faiblis face à l’ampleur de la tâche qui m’attend… Et on se sent encore plus seul qu’avant, c’est dur parfois. Ecrire est une activité solitaire, et ça me va très bien, mais devenir aussi son propre éditeur aggrave les choses, je trouve… Heureusement qu’il y a le monde virtuel d’Internet et des réseaux sociaux pour compenser un peu!