L’édition à compte d’auteur

Par Nila Kazar

#comptedauteur #auto-édition

Longtemps je me suis méfiée de l’édition à compte d’auteur. Et je continue.

À la différence de l’auto-édition (avec laquelle on la confond parfois), l’édition à compte d’auteur est un piège à éviter à tout prix. Je sais bien que des géants tels que Lewis Carroll et Marcel Proust ont publié à compte d’auteur… mais c’était une autre époque ! De nos jours, payer des escrocs pour être non pas « publié », contrairement à ce qu’ils vous affirment, mais juste « imprimé » : où est l’intérêt ? Avez-vous vraiment besoin d’eux pour ne pas commercialiser votre livre ?

La réponse est non, sans ambiguïté ! Pourquoi ?

En réalité, les éditeurs à compte d’auteur ne sont pas des éditeurs, ce sont des parasites qui s’enrichissent à vos dépens. Comment les repérer ? C’est très simple :

  1. Ils font de la publicité dans la presse, du type : « Les éditions Dugenou recherchent de nouveaux auteurs ». Les éditeurs étant inondés de manuscrits, à coup sûr ils font tout pour échapper au mien ou au vôtre ; alors, le solliciter par voie d’annonce est une démarche peu crédible, quasiment une perversion !
  2. Quand vous leur envoyez un manuscrit, ils vous répondent très vite, presque par retour de courrier. Normalement, ça prend des semaines, voire des mois, même s’il y a de rares exceptions.
  3. Ils vous chantent que vous êtes la perle rare qu’ils recherchent depuis toujours. Vos vers : « Poisseux comme barbe-à-papa / Tel est l’amour de Lolita » sont ce qu’ils ont lu de plus inspiré, de plus original depuis des lustres, et ils brûlent de vous publier.

Soyons clair : ce genre de chose n’arrive jamais avec les éditeurs dignes de ce nom. Même moi, qui ai vécu un conte de fées avec l’envoi par la poste à un unique éditeur d’un unique exemplaire de mon tout premier roman, sans aucune recommandation – même moi, on m’a fait attendre.

En plus, personne ne m’a dit que j’étais géniale (snif !). Mais au moins, personne ne m’a soutiré d’argent…

BetteraveComment s’y prennent ces truands ? Eh bien, on peut dire qu’ils savent murmurer à l’oreille des nigauds.

Une fois qu’ils vous ont solidement ferré, innocent petit poisson que vous êtes, ils se mettent à geindre : « Toute l’équipe de Dugenou adore votre sublime recueil de poèmes, nous aimerions tellement le publier séance tenante, mais hélas, nous sommes trop pauvres pour assumer seuls cet investissement risqué, car votre œuvre est si exigeante qu’elle mettra du temps à s’installer, alors aidez-nous à vous rendre célèbre en finançant une toute petite partie de notre investissement… »

Et vous voilà en train de ponctionner les économies de Mémé pour régler les frais de fabrication. Ah, mais c’est pour une juste cause ! Quand on est un génie, on ne va pas mégoter, pas vrai ?

Votre livre enfin fabriqué, aucun libraire n’en verra la couleur ; le stock dormira au fond d’une cave pour l’éternité, excepté les exemplaires que vous aurez distribués vous-même à vos proches.

On se réveille sonné et sérieusement amoché d’une pareille duperie. On a honte de soi-même, alors que c’est Dugenou qui devrait avoir honte. C’est arrivé l’année dernière à l’une de mes étudiantes. Étonnée qu’elle fasse autant de fautes d’orthographe, je l’ai prise à part pour parler de ce problème. Entre autres choses, elle m’a confié sa mésaventure. Son manuscrit plein de coquilles n’avait vraisemblablement jamais été lu avant d’être fabriqué…

Pourtant, contrairement à moi, cette charmante enfant a grandi dans le monde merveilleux des nouvelles technologies. J’aurais cru que sa crédulité serait contrebalancée par les informations qu’on glâne partout sur le web. Mais elle avait tellement envie d’y croire… comme chacun d’entre nous !

Enfin, ça, c’était avant le numérique. Car un bénéfice secondaire du développement de l’auto-édition en ligne, c’est que les escrocs du type de La (défunte) Pensée universelle, ancêtre spirituel des Amalthée, Bénévent et autres truands (pour les identifier, appliquez-leur la grille en trois points décrite ci-dessus), vont crever faute de demande. Malgré leurs tentatives pour requalifier leurs pratiques peu reluisantes en « édition participative » (alors qu’il s’agit en fait de « louage d’ouvrage », voir ici), leurs jours sont comptés. Ni fleurs ni couronnes, on ne va pas pleurer.

Allez, puisque nous sommes entre nous, je vais vous raconter une anecdote authentique. Quand j’étais encore débutante, avec juste deux titres publiés, et que je galérais financièrement, j’ai passé une petite annonce dans un quotidien (papier, qu’est-ce que vous croyez ? c’était dans l’Ancien monde !) : « Jeune auteur cherche commandes d’écriture ».

Et très vite, Alain Moreau, patron de La Pensée Universelle, roi de l’arnaque du compte d’auteur, m’a appelée.

Quand je vous dis que ma vie est un conte de fées…

SuicideModeEmploiLe jour du rendez-vous, j’ai atterri dans un bel hôtel particulier du Marais. On m’a introduite dans une pièce où brûlait un feu de bois dans une cheminée d’époque. Le capo dei capi avait dû se payer ça avec son best-seller, Suicide, mode d’emploi. Et accessoirement, avec les économies de Mémé… Moi qui sortais de ma chambre de bonne de moins de 7 m2, j’hallucinais !

Mais ce n’était rien à côté de ce qu’il m’a proposé : « Je projette de publier un livre intitulé Conseils aux jeunes auteurs. Il faudrait que ça semble sorti de la plume d’un vieux briscard de l’édition. Vous ne le signerez pas, bien sûr. On vous inventera un pseudonyme. Et certains chapitres seront pris en charge par la maison. » J’ai supposé qu’il s’agissait de ceux concernant l’édition à compte d’auteur, qu’il pratiquait à grande échelle. Ça m’arrangeait, déjà à l’époque je ne me voyais pas en faire l’éloge…

« Alors, vous pourriez nous écrire ça ? »

Non, je ne rêvais pas : ce type était en train de demander à un auteur débutant de rédiger des conseils destinés… aux auteurs débutants !

Et vous savez quoi ? J’ai accepté. N’oubliez pas, je crevais la dalle, et j’avais 20 ans. Un âge où l’estomac a du mal à se faire une raison quand le menu quotidien se compose de betteraves rouges et de maïs en boîte (ma spécialité culinaire, j’ai un peu progressé depuis).

« Très bien, a-t-il dit en se levant pour mettre fin à l’entretien. Proposez-moi un synopsis. Je vous rappellerai quand je l’aurai lu. »

J’ai pondu un plan détaillé dans les jours qui ont suivi. Je crois que le résultat n’était pas mauvais. En fouillant dans mes archives, je retrouverais sûrement l’original… Pour être franche, le défi m’excitait, m’amusait même. Me projeter dans une autre identité, un autre âge, un autre sexe (car l’auteur était censé être masculin – forcément, quand il s’agit de se poser en référence !), c’était un peu comme créer un personnage de fiction. Et j’aimais bien le côté ironique de la situation, j’avoue.

Hélas, le boss n’a pas donné suite. Il a eu l’élégance de me téléphoner pour m’en informer (élégance peu partagée par ses confrères plus fréquentables). Comme je me sentais assez illégitime sur ce coup-là, je n’ai pas trop insisté. J’ai recommencé à manger des betteraves…

Mais le plus étonnant, c’était que lui ne me jugeait pas du tout illégitime. Il avait juste retenu un autre candidat. C’était un homme d’affaires sans états d’âme, un requin sans scrupules, oui – mais qui, au moins, ne se cachait pas de l’être. Nous avions passé deux heures ensemble à discuter et, malgré mon inexpérience flagrante en tant que nègre d’édition, il m’avait visiblement prise au sérieux.

C’était ses pigeons qu’il ne prenait pas au sérieux.

Pigeons

Alors, faites-le à sa place, à la place des minables qui abusent de votre vulnérabilité : prenez-vous au sérieux, votre travail le mérite… Pour vous frayer un chemin jusqu’à votre lectorat potentiel, il y a d’autres moyens que le compte d’auteur, surtout depuis que nous sommes entrés dans l’ère du numérique.

Et laissez donc ses économies à Mémé, elle pourrait en avoir besoin, la pauvre !


Des questions, des commentaires ? Allez voir un peu plus bas ! Et si l’envie vous taraude de goûter à mes écrits, ne résistez plus : mon dernier roman, Platonik, est ici (imprimé ou numérique). Pour vous en donner le goût, vous pouvez lire cette chronique-ci, ou celle-là !

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17 réflexions au sujet de « L’édition à compte d’auteur »

  1. Ça c’est bien envoyé. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison de se faire publier par ces pseudo-éditeurs. Mais du coup, il faut accepter de passer du temps, et de dépenser un peu d’énergie, pour se publier soi-même ; mais le temps et l’énergie ne sont-ils pas la richesse de l’auteur?

  2. Le défunt Calcre, ressuscité en Oie Plate, se battait contre les pratiques de ces margoulins.

    Ceci dit, il existe aussi sur le marché un grand nombre de pseudo-éditeurs qui exigent en échange de l’honneur d’être publiés par eux une liste d’adresses de clients potentiels et une illustration qui leur évite tout investissement. Le livre sera imprimé en Roumanie, couverture monochrome et bourré de coquilles. Il sera distribué par les corbeaux à trois librairies-papeteries du quartier de l’éditeur. Je parle d’expérience, hélas.

    1. C’est important de mentionner le travail du Calcre, merci de le rappeler.
      Pour ce qui est de la mésaventure que vous relatez, j’en reste baba. L’inventivité des escrocs en ce domaine est vraiment illimitée!

  3. J’ai tenté l’expérience de l’autodiffusion numérique pour mon roman (en parallèle avec la diffusion traditionnelle, de facto aux bons soins de mon éditeur « papier »), puis de l’auto-édition pour une nouvelle (gratuite). Avec, chaque fois, un travail de promotion auprès des blogueurs (mon éditeur jouant pleinement le jeu en adressant un service de presse à ceux qui refusent le numérique) ; effort payant en termes de recensions, nul en « ventes » (numériques).
    Confier l’édition numérique à mon éditeur m’aurait assuré une meilleure visibilité sur les librairies en ligne (éditions papier et numérique associées sur la même page, mise en avant de tel éditeur, effet label de la marque), et j’aurais bénéficié de sa force commerciale directe (son site, ses librairies, ses campagnes). Mon banquier aurait certainement apprécié plus de souplesse de ma part, et à court terme comment ne pas lui donner raison ?

    1. Merci de partager votre expérience! Décidément, tout reste aléatoire dans ce Nouveau monde de l’édition numérique. Mais je crois qu’il faut labourer sans relâche le terrain pour qu’il devienne fertile – d’après ce que je lis, ça prend deux ou trois ans de publications ET d’actions de promotion continues…

  4. Je crois que vous pouvez citer aussi les structures éditoriales « hybrides » sans encourir un quelconque risque judiciaire. Informer des auteur(e)s sur les tenants et aboutissants des contrats d’édition/publication de telle ou telle société d’édition, n’est en rien de la délation, mais de l’information juridique et financière.
    Pour ma part, je souris quand je vois la pseudo-fusion entre [Édilivre-Publibook-La Société des écrivains-Mon Petit Éditeur-et enfin Connaissance & Savoirs]. Cette fusion appartient à une même holding (Holding AParis), elle-même filiale d’un fonds d’investissement dont le siège est en Irlande (Olma Capital Management).
    Cette pseudo-fusion regroupe en réalité plateforme d’édition (ex: Publibook) + éditeur 100% à compte d’auteur (ex: Société des écrivains) + éditeur à l’origine traditionnel (ex: Mon Petit Éditeur). La holding y impose un modèle de contrat standard qui métisse alors tout et n’importe quoi en surfant sur les enseignes, façon « piège à gogos » pour auteurs prêts à beaucoup de sacrifices pour se croire publiés « à l’ancienne »…
    Analyser la structure sociétale d’un éditeur est très révélateur de sa réelle finalité professionnelle.

  5. C’est d’autant plus étonnant que de nos jours il existe tellement de possibilités d’auto-édition! Et je ne parle même pas de l’auto-édition numérique. Car on peut faire imprimer ses propres livres à des prix bien inférieurs à ceux demandés par ces pseudos maisons d’édition qui vont vous charger 2-3000 euros pour 300 livres alors que vous pouvez faire imprimer le même nombre pour quasiment moitié prix sur des plateformes comme Createspace. Alors je ne comprends pas vraiment comment tellement de gens se font encore avoir de cette façon. Il y a 15 ans quand l’auto-édition était balbutiante, on pouvait à la limite se dire que certains succombaient aux sirènes de la gloire et perdaient des fortunes en papier. Mais aujourd’hui… non je ne vois pas. Il suffit de passer 30 minutes sur le web pour se convaincre que ces maisons d’édition sont une vaste supercherie.

    1. Entièrement de votre avis. Je suppose que, commme c’était le cas de mon étudiante naïve, âgée de 20 ans, le modèle traditionnel de l’éditeur qui vous repère, vous soutient, vous paterne/materne, est encore très pregnant et fait rêver beaucoup d’auteurs débutants.

  6. Bonjour,

    Même quand vous les évitez comme la peste, vous risquez d’en être la proie. J’ai récemment réédité un livre en auto-édition, et en travaillant sur cette réédition l’idée m’a pris d’entrer le nom d’un personnage dans un moteur de recherche, lequel m’a révélé que la moitié de mon livre avait été copié-collé et publié chez Mon Petit Éditeur.
    Ils ne vont quand même pas entrer une phrase au hasard d’un manuscrit pour vérifier qu’ils n’enfreignent pas le code pénal, alors que le plagiaire a de l’argent à leur donner! En cherchant juste un peu, j’ai trouvé chez eux et leur sœur Édilivre 800 pages de contrefaçon!
    J’ai porté plainte, mais j’ai du mal à imaginer – piètre idée que j’ai de nos institutions – un OPJ aller faire des misères à une boîte détenue par un tel fonds d’investissement (et qui sent bon la Russie de Poutine.

    En référence à votre article du 5/09/16 sur le palagiat, j’attends le jour où un plagiaire dira de l’objet de son larcin: «C’est un bidet, je n’ai plagié que Marcel Duchamp.»

    1. Merci de nous apporter votre témoignage. Oui, depuis que l’autopublication est aisée grâce au numérique, toute sorte de prestataires de services plus ou moins sérieux, et de nombreux vautours carrément malintentionnés, hantent ce milieu.
      J’aime beaucoup votre blague sur Duchamp!

  7. Bravo pour votre article! Tout est dit! L’édition « participative », ou comme arnaquer les auteurs novices! Hum, l’appât du gain… Après rendez-vous, je viens de recevoir le devis d’une de ces maisons – gros malaise, pour la modique somme de 2700 euros!! On me propose de choisir la promotion dans seulement quelques départements pour alléger la facture, de corriger moi-même mon texte, éventuellement de fournir au graphiste des idées de couverture, mais où va-t-on?? Et eux, ils font quoi à part mentir et empocher? D’ailleurs, depuis quand un graphiste retouche un texte? Là, je n’ai pas trop compris. Et quand vous grattez pour avoir des références de libraires, on vous propose une liste… de Leclerc! Il faut vraiment étudier de près là où on envoie son manuscrit, éradiquer toutes les pubs accrocheuses Facebook ou internet du genre « Les éditions Pourritas cherchent nouveaux talents », ou les racoleurs de salons, c’est l’arnaque assurée à la clé. Je ne sais pas si mon livre sera un jour publié, mais jamais je ne cèderai à la publication à compte d’auteur. Et merci d’en parler, ça permet de se rassurer.

    1. Merci de nous donner un exemple concret de ces pratiques malhonnêtes. La somme demandée est choquante, et le service proposé, quasi nul! Vous êtes vraiment tombée sur des malfrats sans scrupules!! Bon courage à vous pour la suite de vos démarches.

  8. Bonjour,
    Heureusement que l’autoédition se développe. Avec l’avènement de l’impression numérique, on peut passer commande de la quantité voulue, même un seul exemplaire si on le souhaite. Fini le carton rempli de romans dans son salon. Une pratique courante chez le pseudo éditeur à compte d’auteur consistait à vous imposer d’acheter au prix de gros (snif) une certaine quantité de votre « chef d’œuvre ».
    Cela dit, il reste un problème de taille pour lequel on a pas encore trouvé de solution miracle : faire connaître votre livre.

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