Par Nila Kazar
#contrat-type #édition #dépôtdemanuscrit #à-valoir #pourcentage #droitsdauteur #redditiondescomptes #relevédeventes
Longtemps j’ai eu du mal à admettre que, pour exister en tant qu’écrivain, je devais être deux personnes à la fois : une artiste et une professionnelle.
Dans ma cosmogonie intime, au commencement était l’artiste, surgi du néant, enfant de soi-même et de ses lectures. Le professionnel s’est construit ensuite, se détachant progressivement de l’artiste pour lui permettre de s’affirmer sans complexe et d’être efficace en dehors de son bureau.
Le mot d’ordre pourrait être : Écrivain, deux en un !
En principe, l’avatar artiste écrit tout seul dans son coin sans tenir compte d’aucun facteur extérieur à son œuvre. Pas compliqué ! (Difficile et risqué, oui, mais pas compliqué…)
Alors que l’avatar professionnel va à la rencontre de l’éditeur, du libraire, du graphiste, de l’attaché de presse. Il analyse son contrat, négocie clauses et pourcentages, se tient au courant des usages et de la législation du métier, lit la presse spécialisée ; s’il s’auto-édite, il s’initie au livre numérique, à la fabrication papier, à la promotion en ligne ; enfin il défend son ouvrage dans les médias, hante les salons et festivals, répond aux questions de son lectorat. Bref, s’efforce d’acquérir et de maîtriser de très nombreuses compétences.
Comment concilier deux aspects aussi opposés dans une seule personnalité ? Je n’ai pas de recette. Disons qu’au début, je devais forcer un peu ma nature. Au fil des années, je me suis améliorée, nécessité faisant loi puisque je prétendais vivre de mon clavier. À présent je connais bien l’environnement éditorial, et je n’ai pas fini d’apprendre.
Car si je ne me prends pas au sérieux, qui le fera ?
Un jour, un éditeur m’a proposé un contrat. Je l’ai lu dans son bureau, crayon en main. Au bout de dix minutes, il s’est étonné : « Tu le lis en entier ? – Évidemment, ce papier m’engage autant que toi. – Tu es le premier auteur que je rencontre qui lise à fond son contrat. – Pas possible ! – Si. D’habitude ils regardent le tirage, la date de parution, le pourcentage et l’à-valoir. Et encore, pas toujours… » Or cet éditeur s’occupait de 250 auteurs. C’était moi la plus étonnée des deux !
Pour développer votre avatar pro, voici quelques conseils de base :
On peut se procurer gratuitement des contrats-types auprès de la SGDL (Société des Gens de Lettres) ou de la Mél (Maison des écrivains et de la littérature), dont vous trouverez les coordonnées sur ma page Ressources, section « Sites institutionnels ». On peut aussi consulter des spécialistes sur rendez-vous. Pourquoi se priver de cette aide précieuse ? Une fois qu’on a le document sous les yeux, il faut le lire et poser des questions jusqu’à être sûr d’avoir à peu près tout compris. Pas plus dur que les stats-et-probas au bac…
Commencez donc par déposer votre manuscrit à la SGDL. Cet enregistrement pourra servir de preuve d’antériorité en cas de litige pour plagiat. Le service de protection des œuvres existe maintenant en mode électronique, il s’appelle Cléo+. C’est une précaution utile.
Dans un deuxième temps, osez négocier votre à-valoir et votre pourcentage sur les droits d’auteur. L’à-valoir est souvent la seule chose que vous toucherez, et il n’est pas remboursable, même si vous ne l’amortissez pas par vos ventes. Si on vous propose 1500 euros brut, demandez-en 2000. Faites monter les enchères, même symboliquement, c’est bon pour l’estime de soi. Et ne transigez pas sur vos 10% pour un roman ! Un contrat mentionnant 0% de droits d’auteur est illégal, l’Harmattan par exemple a été condamné pour l’avoir pratiqué (comme la chose a été jugée, j’ai le droit de le mentionner).
Plus tard vous apprendrez à faire supprimer les articles déloyaux, par exemple celui qui concerne les provisions sur retours (le diable gît dans les détails), et vous refuserez de signer la clause de préférence ou droit de suite, un piège qui vous coince pour longtemps, car vous devrez cumuler deux refus de suite avant de vous libérer de cet éditeur pour aller butiner chez un autre. De même, vous ne signerez l’avenant concernant les droits d’adaptation audiovisuelle que quand une proposition concrète se présentera, pas avant.
Enfin vous exigerez qu’on vous communique vos relevés de vente annuels (« Chaque année tes comptes réclameras », tel est le onzième commandement). La reddition des comptes d’édition est un point noir depuis toujours. Transparence et honnêteté sont rarement là où les rapports sont déséquilibrés ; or l’éditeur est à la fois juge et partie en la matière. J’ai forgé à ce propos un petit dicton : « Petit éditeur, grand escroc. Grand éditeur, petit escroc. » Désolée pour les valeureuses exceptions, mais c’est assez fidèle à la réalité… En effet, un grand éditeur n’a pas besoin de vous escroquer autant qu’un petit, car il a les reins plus solides et de la trésorerie devant lui. Mais il essayera toujours de retarder le moment de passer à la caisse. Le réflexe est bien ancré dans le milieu.
Dans l’industrie du livre, aucune instance tierce ne perçoit les droits pour les redistribuer aux auteurs ou ayants-droit, contrairement à ce que font la SACD pour le théâtre et la SACEM pour la musique (notez que ces vénérables sociétés d’auteurs prennent leur temps pour vous verser votre dû). Mais c’est en train de changer. Aboutissement de quatre ans de négociations entre les représentants des éditeurs et des auteurs, l’ordonnance du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle relatives au contrat d’édition est entrée en vigueur le 1er décembre 2014 – voir ici la synthèse éclairante d’Emmanuel Pierrat.
J’ai fait deux procès à des éditeurs indélicats, et j’ai gagné les deux en première instance. Le premier avait ressorti sans me le dire un roman vieux de dix ans comme si c’était une nouveauté. Cet oligophrène avait pensé à changer la couverture, mais pas la date de l’achevé d’imprimer. Il ne m’avait jamais rémunérée et j’avais laissé courir, mais il n’aurait pas dû remettre ça. La seconde avait diffusé une traduction qui prenait la poussière depuis longtemps sur ses étagères sans m’en avertir, et surtout, sans que j’aie corrigé les épreuves d’imprimerie. Elle avait introduit plein de fautes et d’incohérences de son cru, mais c’est moi qui signais ce désastre – adieu ma réputation de traductrice !
Des auteurs chevronnés m’ont avoué n’avoir jamais demandé de comptes à leurs éditeurs. Ils avaient peur d’être rejetés s’ils transgressaient les règles non écrites du paternalisme ambiant. Peur aussi d’être blacklistés, disaient-ils. Si l’on reste toute sa vie un môme craignant la fessée, on ne risque pas de se professionnaliser ! Le fond de l’affaire, c’est qu’ils pouvaient se le permettre, ayant un métier salarié. Moi, je n’ai pas le choix. Si je veux régler mes factures, récupérer les sous qu’on me doit est une obligation.
Car si je ne me prends pas au sérieux, qui le fera ? (bis)
Je n’ai pas été blacklistée après mes procès, je suis juste restée une midlister, cette espèce menacée d’auteurs qui vendent autour de 500 exemplaires et dont l’édition actuelle rêve de se débarrasser.
Un jour, deux éditeurs se sont vantés devant moi de n’avoir jamais versé un centime de droits à quiconque. Ces gens-là vivent plutôt bien (résidence secondaire et tutti quanti) en exploitant des individus économiquement faibles, les auteurs précaires. Je précise qu’il s’agit d’éditeurs ayant pignon sur rue et bonne réputation ; l’un œuvre dans la poésie, l’autre dans l’essai académique (je ne les cite pas, car eux n’ont jamais été condamnés). Choquant, non ?
J’ai reçu récemment un relevé de comptes d’éditeur. Voici comment il se présentait : « À cette date, vos droits d’auteur se clôturent par un solde débiteur égal à € XXX,XX, à amortir par de prochains droits. Signé : le service Comptabilité auteurs. »
Quand on lit ça, on se sent tout de suite vaguement coupable, infériorisé, pauvre type. On est perçu comme un débiteur même quand on a vendu des exemplaires. Débiteur-né en quelque sorte – comme si on avait fait une mauvaise manière à l’éditeur en travaillant pour lui ! Dans ce cas précis, il s’agissait d’une traduction d’une langue rare. Ce courrier aurait pu être ainsi rédigé : « Nous avons le plaisir de vous informer que, 22 ans après sa parution, le titre de cet auteur confidentiel s’est vendu en moyenne à 50 exemplaires par an entre 2011 et 2014. Nos plus sincères félicitations ! » Car c’est en fait un record de vente exceptionnel dans sa catégorie.
Quelqu’un pourrait-il s’atteler à reformuler ce satané courrier de façon plus avenante, au nom de toute la profession ? Ça lui prendrait un quart d’heure et ça améliorerait considérablement les relations auteurs-traducteurs/éditeurs.
Allez, dans un prochain billet je vous raconterai comment, en plus d’être deux en une, je suis devenue quelqu’un d’autre, voire plusieurs autres.
Des questions, des commentaires ? Allez voir un peu plus bas ! Et si l’envie vous taraude de goûter à mes écrits, ne résistez plus : mon dernier roman, Platonik, est ici (imprimé ou numérique). Pour vous en donner le goût, vous pouvez lire cette chronique-ci, ou celle-là !
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Bonjour,
Je vous félicite pour ce blog. Très intéressant. Les informations qu’on y trouve sont particulièrement pertinentes.
Concernant l’information que vous donnez là : « Dans notre domaine, aucune instance tierce ne fait remonter les droits d’auteur pour les redistribuer aux ayants-droit, contrairement à ce que font la SACD pour le théâtre et la SACEM pour la musique ». Vous avez raison, mais vous omettez semble-t-il de signaler l’existence de la Sofia qui, sans être l’équivalent de la Sacem (elle l’est dans une certaine mesure sur le plan de ses missions statutaires), a la charge de faire remonter les droits revenant aux auteurs de la branche du livre, en particulier s’agissant du droit de prêt et des droits numériques. Alors oui, il ne s’agit pas de l’ensemble des ventes, loin s’en faut, mais il me paraissait important d’évoquer ce point ici. Il reste que l’idée d’une société de perception et de répartition des droits remplissant les mêmes missions que la Sacem et ses structures affiliées (je pense à la SDRM, la SPPF,…) est une très bonne idée.
Bien à vous
Merci infiniment de votre appréciation élogieuse!
Pour ce qui est de la Sofia, vous avez parfaitement raison de la mentionner. Dans une version ultérieure de ce blog – destiné à devenir un jour livre numérique – je ne manquerai pas d’ajouter cette information. Ainsi que d’autres issues des commentaires, car j’ai la chance d’avoir de belles contributions…
Bonjour,
Je m’occupe d’une association sans but lucratif de défense et de promotion du Catharisme.
Je constate quotidiennement que Internet fourmille d’offres de livres et revues qui abusent littéralement d’œuvres qui ne sont plus éditées depuis longtemps, mais dont les droits d’auteur courent toujours.
Au final les auteurs font la fortune de ces vendeurs indélicats et ne reçoivent rien, ou bien leurs travaux sombrent dans l’oubli faute d’être ré-édités.
Si un équivalent SACEM existait, je pourrais proposer ces travaux prix coûtant à des chercheurs ou des lecteurs qui accepteraient de les payer au juste prix.
Malheureusement, cette absence nuit gravement aux auteurs qui ne sont plus lus et ne touchent rien sur des pratiques honteuses de revente d’ouvrages à des prix prohibitifs.
Qu’en pensez-vous, sachant que par ailleurs la BNF s’autorise à diffuser gratuitement à des associations de handicapés les ouvrages en cours de droits, comme elle autorise des ré-éditions d’ouvrages anciens mais encore protégés ?
Entièrement d’accord avec vous pour regretter qu’une instance tierce de perception et redistribution des droits d’auteur sur les « œuvres de l’esprit » n’existe pas en France, pays qui a pourtant inventé le concept de droit d’auteur. Mais force est de constater que l’auteur seul (même de son vivant!) n’est pas en mesure de contrôler la totalité des formes d’exploitation légales ou illégales. On y passerait 24 heures sur 24 pour ne ratisser que de maigres subsides. Pour ma part je me concentre sur quelques démarches ponctuelles pour récupérer mes droits, et je vous assure que c’est une lutte titanesque et désespérante.