Par Nila Kazar
#plagiat #plagiaire #droitmoral #droitdauteur #propriétéintellectuelle
Longtemps j’ai cru que tout le monde partageait ma conviction qu’un écrit ne peut être attribué qu’à un seul auteur. Mais j’ai dû me rendre à l’évidence : ce principe ne fait pas l’unanimité.
Même s’il reste honteux, même si on cherche toujours à le dissimuler, le plagiat est une pratique courante. Et l’était déjà bien avant l’invention d’internet. « Artistes, poètes, écrivains, si vous copiez toujours, on ne vous copiera jamais ! », s’écriait Bernardin de Saint-Pierre au XVIIIe siècle, faisant avec humour du plagiat un critère de reconnaissance. Être plagié = la gloire ! Ouaip, on peut le voir comme ça, du moins tant qu’on ne cherche pas à gagner sa vie en écrivant…
Comme de remarquables articles ont été publiés sur ce sujet, au lieu de chercher à être originale, je vais les compiler et les résumer – en citant les auteurs et en renvoyant aux sources, ça va de soi !
Tout d’abord, rappelons que les idées ne sont pas protégeables. Un exemple tiré des Cahiers du cinéma (1998) : Radu Mihaileanu a revendiqué la paternité de l’idée centrale de La vie est belle, le grand succès de Roberto Benigni. Il n’a pas fait de procès, même s’il est prouvé qu’il avait envoyé son scénario à Benigni deux ans avant la réalisation du film, lequel Benigni avait décliné l’offre. De la part de Mihaileanu, c’était de l’élégance, mais aussi du réalisme… Car un procès aurait été risqué, et le financement de son film, Train de vie, encore plus aléatoire !
Cela peut paraître injuste – nan, putain, c’est affreusement injuste ! –, mais c’est ainsi. Ce qui est protégeable, sous certaines conditions, ce sont les textes. Mais il faut savoir que le dépôt de manuscrit (par ex. à la SGDL) ne constitue qu’une preuve d’antériorité.
Pour parler du plagiat, on est obligé de rappeler la définition des droits « moraux » (différents des droits « patrimoniaux », où il s’agit essentiellement de gros sous). L’histoire du droit d’auteur est très bien décrite dans sa page Wikipédia. Retenons que : « En Europe, les premières demandes célèbres de protection contre la contrefaçon émanent des philosophes des Lumières eux-mêmes, à commencer par Diderot dans la Lettre sur le commerce des livres (1763). »
La contrefaçon, qu’est-ce donc ?
Dans le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
Et plus loin : « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon ; et toute contrefaçon est un délit. »
La contrefaçon, commente l’avocat-écrivain Emmanuel Pierrat ici, « c’est donc l’utilisation illicite, qui peut prendre des formes très diverses, d’une œuvre protégée par la propriété littéraire et artistique. Aux yeux des juridictions, elle repose sur la conjugaison de deux éléments indispensables : un élément matériel et un élément moral. L’élément matériel, c’est l’acte en lui-même. La contrefaçon peut porter sur n’importe quel élément protégé par le droit d’auteur : titre, texte, composition typographique, illustrations, couverture, etc. ».
Quant au droit moral, il est ainsi défini dans le CPI : l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité (d’auteur) et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Cela implique que : 1. les héritiers de l’auteur pourront l’exercer même si l’œuvre est tombée dans le domaine public, 2. l’auteur lui-même ne peut en aucun cas renoncer à l’exercer, 3. tant que l’œuvre existera, le droit moral s’exercera, même face à des créanciers qui, par exemple, ne pourront pas exiger la diffusion d’une œuvre pour recouvrer les sommes dues.
Eh oui ! rien que ça. Autrement dit, même vous, l’auteur, du moins tant que la loi restera telle, vous n’avez pas le droit renoncer à vos droits moraux. Je suis sûre que vous n’en étiez pas conscients, avouez !
J’en viens au plagiat tel qu’il se pratique dans le monde merveilleux des Lettres françaises. Et pour cela, je vais citer largement l’excellente typologie des plagiaires que présente Laurent Lemire dans cet article très complet sur la question, nourri de nombreux exemples :
> Le pompeur tout-terrain : Lui ne s’embarrasse pas de sa conscience. Il copie au plus juste, change quelques virgules, un mot, un verbe. Pourquoi infléchir une bonne pensée que l’on n’a pas eue ?
> Le grand écrivain en mal d’inspiration : Celui-là, il lui faut un livre dans le trimestre qui vient. Son éditeur le presse. Ses lecteurs l’attendent. Lui n’a pas l’ombre d’une idée. Alors il cherche. Dans les librairies, dans les bibliothèques. Parfois même son éditeur peut le conseiller. L’ouvrage repéré, il ne lui reste plus qu’à opérer un subtil démarquage.
> Le plagiaire par mégarde : Il oublie qu’il a trop lu. Il se souvient tellement des livres adorés qu’il est capable d’en retranscrire, presque mot pour mot, des passages entiers. Sauf que ce distrait oublie les guillemets. Mais pas sa signature.
> Le plagiaire via son nègre : C’est le cas – ils sont plus nombreux qu’on le croit – de ceux qui n’écrivent pas leurs livres (cf. mon précédent billet). Faisant confiance à leurs « collaborateurs », de leurs ouvrages ils ne lisent quelquefois que le contrat en s’assurant du montant des à-valoir.
> Le plagiaire de sujet : De l’histoire des autres il fait son miel. Pour lui l’originalité d’un sujet réside d’abord dans le style.
> Le plagiaire de thèses : Il considère que le savoir appartient à tout le monde. Les œuvres d’érudition, destinées à un public restreint, sont donc susceptibles d’être réutilisées à l’envi pour servir son imagination.
> Le plagiaire polyglotte : C’est le plagiaire furtif, le plus difficilement détectable. Tout dépend des langues mises à contribution. Lui va directement puiser dans le corpus international. C’est un expert et il sait qu’il a plus de chances de se faire repérer en s’appropriant un best-seller anglo-saxon qu’un roman moldo-valaque sur une famille gagaouze (merci Laurent pour ce beau moment d’hilarité).
J’ajoute le cas particulier de ce qu’on appelle plagiat psychique, dont Marie Ndiaye et Camille Laurens ont accusé Marie Darrieussecq. On peut se référer au livre-réponse de cette dernière, Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction. Cette polémique est tout à fait instructive et respectable, rien à voir avec les marécages du plagiat ordinaire.
Autre référence, le livre Du plagiat de Hélène Maurel-Indart (PUF, 2007), et surtout le site http://leplagiat.net/ qu’elle a créé et entretient toujours. Vous y trouverez aussi les arguments utilisés dans les procès. Comme dit L. Lemire, elle « nous confirme dans l’idée qu’il n’y a pas un type, mais des types de plagiaires. Certains vont même jusqu’à se copier entre eux. La littérature circule alors en circuit fermé. Il suffit de jeter un œil sur la liste des meilleures ventes chaque année pour saisir les sujets ou les styles récurrents. »
L’usage répandu d’internet a beaucoup facilité l’exercice du plagiat, évidemment. Je ne vais pas développer ce thème, mais s’il vous intéresse, voici un cas récent de plagiat numérique où la victime s’est retrouvée… condamnée.
Voyons plutôt l’aspect judiciaire de la question. Il est très difficile de démontrer un plagiat quand il est habile. Il faut vraiment que des phrases entières soient reproduites telles quelles ou à peine remaniées. Les juges ont besoin de preuves convaincantes qui, dans un tel domaine, ne sont pas évidentes à fournir. Du coup, on préfère s’arranger entre avocats, comme on le voit dans cet autre excellent article de Béatrice Gurrey, qui s’interroge : « La France, paradis des plagieurs ? » en comparant nos coutumes avec celle des Allemands ou des Américains : « De ce continent obscur, qu’il est souvent difficile de délimiter, n’émergent que quelques cas médiatiques. La plupart des affaires se règlent discrètement autour d’une table, car les éditeurs préfèrent la transaction au procès, souvent long et coûteux. Il faut alors faire entrer dans la calculette des éléments aussi précis que le tirage du livre, aussi flou qu’un dégât d’image, ou aussi impossible à chiffrer que le droit au respect d’un auteur. Que valent 23 lignes plagiées dans un ouvrage de 200 pages vendu 19€ ? Arithmétique absurde, mais qui donne une idée de la difficulté à résoudre ces questions. »
Et qu’est-ce que j’en pense, moi, de tout ça ? Bon, puisque vous insistez, j’avoue : je suis très attachée au respect des droits moraux. Ça vous étonne ? Le mot propriété dans la formule « propriété intellectuelle et morale » peut déplaire aux esprits altruistes, et je le comprends. Proudhon n’a-t-il pas affirmé : « La propriété, c’est le vol ? » (en fait, la phrase d’origine est beaucoup plus complexe). Mais moi, je prétends que « le plagiat, c’est le vol. »
Oh, la vilaine ! Tout appartient à tout le monde et réciproquement ! Égoïste, va !
Je vous entends, amis geeks qui vouez un culte à la gratuité, au partage, au collaboratif. Je vous entends, et même, je suis souvent d’accord avec vous (la preuve : c’est quoi, ce blog ?). Le concept des communs, bien décrit dans cet article, je l’approuve à fond pour tout ce qui touche à la pédagogie, à la diffusion des connaissances ; et je l’admets même pour les œuvres de l’esprit dont l’auteur autorise expressément (en contradiction avec la définition d’un droit inaliénable) la reproduction, la paraphrase, le samplage, et pourquoi pas le grenaillage, la flottation, l’escapoulage, sans parler du ressuage… Euh, je m’égare 😉 .
Mais là, amis geeks, il s’agit de tout autre chose : il s’agit de création ; il s’agit d’un auteur qui tente de vivre de sa plume, d’être reconnu par ses pairs et par ses lecteurs. Or la victime de plagiat subit à la fois un dommage matériel et un dommage spirituel.
Dans un monde où la vie matérielle d’un artiste ne dépend plus du bon vouloir d’un roi, de la générosité d’un noble ou d’un mécène, ou encore de rentes familiales, et sachant que les aides publiques (subventions, bourses, résidences, etc.) ne concernent que très peu d’auteurs ; dans une société qui vous renvoie sans cesse à l’idée que vous valez ce que vous gagnez, l’idée qu’un écrivain authentique devrait vivre au moins en partie de ses ouvrages est-elle si inacceptable ? Or le plagiat, sans aucun doute, porte atteinte aux revenus d’un auteur.
Mais plus profondément, l’effort d’imaginer un univers, des personnages, d’accoucher d’une histoire en lui donnant une forme artistique originale, d’y consacrer des années de sa vie, suppose un investissement incommensurable. On donne tout à un livre, pas seulement du temps et du travail. « Le style, c’est la manière personnelle de rejoindre l’universel, c’est quelque chose qui vient de l’histoire la plus profonde de l’être, dit le psychanalyste Michel Schneider. C’est pour cela qu’il est si douloureux d’être plagié, surtout quand on débute. »
Un exemple personnel : une amie écrivain italienne, encore peu connue, avait envoyé son manuscrit à une consœur célèbre. Celle-ci lui a piqué les lignes générales de son histoire et d’innombrables détails particuliers pour un livre qu’elle a publié avant mon amie. Les dégâts sur sa vie personnelle et sociale, sa santé psychique, sa carrière, son inspiration, ont été immenses. Au bas mot, deux ans de fichus.
Les plagiaires (rappelez-vous les noms cités dans les articles) sont en grande majorité des personnes plus établies que leurs victimes, des barons ayant statut et pignon sur rue : journalistes trop occupés à passer de plateau télé en émission radio pour écrire, universitaires trop occupés à passer de colloque en direction de thèse pour écrire, éditeurs refusant le manuscrit d’un débutant mais le refilant à un auteur-vedette de son écurie… En fin de compte, le plagiat est souvent un abus de position dominante qu’on peut caractériser, d’après M. Schneider, d’acte de prédation.
Un autre aspect du French plagiarism, peut-être le plus choquant, c’est la connivence générale du milieu et l’impunité des coupables. M. Schneider, encore : « Les élites sont là pour prendre et recevoir et non pour donner et créer en y mettant de la peine. Leur statut économique et social, fait de multiples obligations et apparitions, les contraint quasiment à ne pas faire le travail elles-mêmes. Le passage à l’acte répété donne un sentiment de toute-puissance. Il y a une sorte d’addiction, il faut des doses de plus en plus fortes, de plus en plus spectaculaires de ce vol qu’est quand même le plagiat. » Ou E. Pierrat : « C’est l’esprit de caste qui fait que l’on ne s’excuse jamais. »
Quelques exemples d’impunité, voire de récompense : Calixthe Beyala, plagiaire multi-récidiviste (trois condamnations), à qui l’Académie Française n’a pas retiré son Grand Prix du roman. Patrice Delbourg, pris deux fois la main dans le sac, condamné pour une forme rare de plagiat – la poésie –, qui a conservé son Prix Apollinaire. Ou Joseph Macé-Scarron, qui conservera son Prix de la Coupole… Tout cela, je le répète, après condamnation !
Eh oui, le plagiat, somme toute, c’est payant.
Cerise sur le gâteau, le plagiaire attrapé adore écrire un nouveau livre pour justifier ses actes et les ériger en théorie, sur le thème : « Mais voyons, les écrivains se sont toujours plagiés entre eux ! » Bref, le plagiat considéré comme l’un des beaux-arts. L. Lemire (sans approuver) admet que : « Certes, tout le monde copie tout le monde depuis la nuit des temps, et la littérature n’est qu’un éternel recommencement. » Je me souviens du livre de Jean-Luc Hennig écrit dans ce but, Apologie du plagiat. Et de P. Delbourg se livrant à un « bref éloge de l’écrivain en éponge » : « Face à l’urgence, la paresse, la fatigue, la rentabilité à tout crin, le corps plie, les neurones se mettent aux abonnés absents et, forcément, on se dope, on rapine la substantifique moelle du collègue. La tentation est trop forte. »
Le pauvre, on va le plaindre, il est fatigué et a succombé à la tentation… Y a vraiment des baffes qui se perdent ! Sachez que si vous êtes choqué par cette effronterie, c’est que vous n’êtes pas cool.
Pour conclure ce copieux billet sur une note souriante, je vous livre un tweet récent de Joyce Carol Oates (19/07/2016) : « Years ago a student plagiarized something I had written for an assignment in a course I was teaching not having noticed the author’s name. » Soit : « Il y a des années un étudiant a plagié quelque chose que j’avais écrit pour un devoir dans un de mes cours sans avoir remarqué le nom de l’auteur. » Piquant, non ?
Des questions, des commentaires ? Allez voir un peu plus bas ! Et si l’envie vous taraude de goûter à mes écrits, ne résistez plus : mon dernier roman, Platonik, est ici (imprimé ou numérique). Pour vous en donner le goût, vous pouvez lire cette chronique-ci, ou celle-là !
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Excellent article, comme toujours ! Tu ne cites pas La bicyclette bleue, qui non seulement reprenait la trame (du moins au début de la saga) mais recopiait des phrases entières d’Autant en emporte le vent. Quand le scandale a éclaté, Régine Deforges et son éditeur avaient prétendu qu’il s’agissait d’un pari. Un peu facile… Les héritiers de Margaret Mitchell ont perdu leur procès, mais comme tu le soulignes à juste titre, il est très difficile de triompher des plagieurs…
Merci Elen!
Je connais l’histoire que tu signales, mais ce billet étant déjà plus long que la moyenne, j’ai dû couper dans les cas. Mais dans mes deux principales sources, on trouve tous les exemples et les noms (fort nombreux et fort connus), dont celui-ci. Cela vaut la peine, si on a le temps, de les lire intégralement. Je ne voulais pas tout reprendre de ce que Lemire, Maurel-Indart et Gurrey disent mieux que moi…
De toutes les façons Aragon a été clair la dessus. Dans la préface de Les yeux d’Elsa (collection Grands Écrivains) ce dernier n’a pas manqué de souligner que, je cite: « Car j’imite. Plusieurs personnes s’en sont scandalisées.La prétention de ne pas imiter ne va pas sans tartufferie, et camoufle mal le mauvais ouvrier. Tout le monde imite. Tout le monde ne le dit pas ». La Fontaine, Baudelaire, etc. Apollinaire avait un petit carnet où il notait, lisant Lamartine. Du Bellay aussi… Aragon ne s’est-il pas inspiré de la folle Laila? Ne retrouvons nous pas des similitudes de certains passages dans Baudelaire avec des références à la poésie arabe?
Certes, mais imiter n’est pas plagier, s’inspirer de, non plus. Le plagiat est très précisément défini dans la loi sur la propriété morale et intellectuelle d’une œuvre.
Merci pour cet article! Les procédures en plagiat coûtent une fortune, et les auteurs non connus n’ont pas les moyens de se défendre. L’honnêteté intellectuelle, une valeur qui n’a plus cours aujourd’hui. Hélas!